South Park, l’émission corrosive phare des Etats-Unis, s’en prend à Trump et son «si minuscule pénis». La Maison-Blanche a vivement réagi. Jusqu’où ira-t-elle pour contre-attaquer?
Dans le premier épisode de la nouvelle saison, Donald Trump se glisse dans le lit de Satan (représentant Jeffrey Epstein, reconnu coupable de trafic pédocriminel) et lui fait des avances, arguant avoir eu une rude journée. Mais quand le président soulève le drap, il exhibe un pénis ridiculement petit. Satan s’exclame alors: «Je ne peux même rien voir, c’est tellement minuscule… » Cet humour de potache, bête et méchant, politiquement incorrect, fait le succès de South Park depuis 1997. Si la série animée vient de gravir un échelon dans l’irrévérence, elle n’en est pas à sa première provocation. Avant le Républicain Maga, d’autres candidats et locataires de la Maison-Blanche en ont fait les frais. Barack Obama est l’une des personnalités US les plus parodiées de l’histoire de South Park. Georges W. Bush a été dépeint comme un crétin incompétent, surtout après les attentats du 11 septembre. L’émission de Trey Parker et Matt Stone a toujours dérangé, au point que certaines écoles américaines ont interdit à leurs élèves de porter des tee-shirts à l’effigie de ses personnages.
Mais cette fois, le redoutable duo n’y a pas été de main morte. Outre sa pathétique approche du diable, Trump y est encore représenté rampant complètement nu dans le désert, laissant toujours apparaître un sexe microscopique. La Maison-Blanche n’a pas vraiment apprécié la parodie, fortement relayée par les médias américains, et a réagi par l’attaque, comme devaient certainement l’espérer Stone et Parker. «Cette série n’est plus pertinente depuis 20 ans et se maintient à grand peine avec des idées sans inspiration dans une tentative désespérée d’attirer l’attention», a dégainé un porte-parole présidentiel, à la suite de ce premier épisode. Le début de la nouvelle saison de South Park a tout de même fait un carton, engrangeant 68% d’audience en plus que lors du début de la précédente saison. L’image de Trump dans le désert a fait le tour des réseaux sociaux…
JD Vance en bébé joufflu
Le deuxième épisode, diffusé le 8 août, a remis le couvert, en ne se contentant pas de ridiculiser Donald Trump. On y voit le vice-président JD Vance en bébé joufflu, balayé d’un coup de pied par son président, et la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem, qui avait avoué pendant la campagne avoir abattu sa chienne de 14 mois jugée trop agressive, brandir son révolver pour abattre des chiots. Lors du festival de bande dessinée Comic Con de San Diego, Trey Parker a réagi à la critique de la Maison-Blanche en déclarant ironiquement, le visage impassible: «We’re terribly sorry (Nous sommes terriblement désolés)». La férocité des deux premiers épisodes de la 27e saison de South Park a tout de même de quoi un peu étonner, alors que, pendant son premier mandat, Trump avait été relativement épargné par le duo que Vanity Fair appelle des «sales gosses qui se comportent comme des sales gosses».
«Le calcul de Trump est d’encourager l’auto-censure»
Ce qui semble avoir changé la donne, ici, c’est la saga de la société de mass médias Paramount Global dont la fusion avec la société de production Skydance a fait l’objet d’un chantage de la part de l’équipe Trump. La FCC, le régulateur américain des télécommunications, a donné son feu vert à l’opération commerciale, moyennant –de façon très insolite– un changement de la ligne éditoriale de la chaîne télé CBS qui appartient à Paramount et dont l’animateur Stephen Colbert dérangeait fortement le président républicain. L’émission The Late Show de celui-ci est directement passée à la trappe. Durant cette saga à rebondissements, South Park a connu la plus longue pause (plus de deux ans) de son histoire. Parker et Stone ont visiblement eu envie de régler leurs comptes avec Donald Trump et son équipe. Après les critiques, la Maison-Blanche utilisera-t-elle l’arme judiciaire, comme elle a l’habitude de le faire avec les médias, pour tenter de bâillonner Cartman, Stan, Kyle et Kenny, les gamins infernaux de South Park?
Une émission à 1,5 milliard de dollars
Les créateurs de l’émission satirique viennent de signer un contrat de cinq ans avec Paramount pour un montant d’1,5 milliard de dollars pour être diffusée sur la plateforme de streaming du géant des médias. Il est dès lors peu probable que Paramount se plie, cette fois, aux exigences épidermiques de Trump. Il faut dire aussi que South Park, avec toute son insolence, est une institution aux Etats-Unis, encore plus que Les Guignols en France. Mais le Républicain n’en est pas à une tentative déstabilisatrice près. Il vient d’engager un procès retentissant à l’encontre du Wall Street Journal et de son propriétaire Rupert Murdoch, à la suite de la diffusion de nouvelles révélations dans l’affaire Epstein très gênantes pour le président. Le quotidien financier s’est également vu retirer son accréditation pour accompagner Trump en Ecosse, voyage au cours duquel ont été finalisées les négociations douanières avec l’Union européenne. On se souvient aussi de l’interdiction faite par Jeff Bezos au Washington Post, dont il est propriétaire, de prendre position pour un candidat lors des dernières élections présidentielles, Kamala Harris étant pressentie.
«Tout cela met en lumière la volonté très nette et inquiétante de Donald Trump d’avoir l’ensemble des médias sous sa coupe, analyse Serge Jaumain, professeur d’histoire contemporaine (ULB), spécialiste des Etats-Unis. Les médias les plus visés sont ceux qui le dérangent le plus, à savoir les fact-checkers et les satiriques qui ont un impact très grand sur l’image du dirigeant.» Face aux juristes des grands médias, rôdés à ce genre de pression, les avocats du président ont peu de chance de remporter la partie. Mais la tactique paye néanmoins. «Leur calcul est d’encourager l’autocensure qui permet d’éviter les frais d’une procédure qui, de toute façon, coûte cher, continue l’expert. L’idée est la même avec les grandes universités et les chercheurs étrangers qui viennent travailler aux Etats-Unis. Ceux-ci vont réfléchir à deux fois avant de publier une critique sur l’administration en place. Ils savent qu’ils peuvent se faire éjecter du pays. On appelle cela la stratégie de la peur.»
Malgré ces tentatives pour l’ébranler, la liberté de la presse n’en reste pas moins une réalité aux Etats-Unis. La résistance de Murdoch (pour le Wall Street Journal) face à Trump, alors que le premier a soutenu le second dans ses campagnes électorales, est d’ailleurs plutôt rassurante à cet égard. Le magnat de la presse, âgé de 94 ans, est aussi propriétaire de Fox News, la chaîne télé dévouée au Républicain, ce qui devrait brider quelque peu ce dernier. «C’est aussi une question de business, relativise lucidement le Pr Jaumain. Beaucoup de grands médias sont sur une pente. Mais ils savent jusqu’où aller tant que c’est rentable. South Park est également, avant tout, une affaire de gros sous dont l’objectif est de faire de l’audience.» La liberté de la presse est aussi conditionnée par la raison financière…